GUÉRISON : LA VIE APRÈS UNE GREFFE

Patients Greffés

La 10ème Journée Patients Greffés, organisée le samedi 27 janvier 2018 au Palais du Pharo a été l’occasion de parler de guérison après une greffe de moelle osseuse.

Découvrez les témoignages de Mathieu Bacci, patient greffé à l’Insitut Paoli-Calmettes et d’Anne Fouchard, Directrice de la communication à l’Institut, présents à cette Journée.

Jean-François Roubaud, qui sera présent au débat public du 13 avril 2018, vous dévoile d’ores et déjà son témoignage.

Mathieu Bacci, à l’occasion de la 10ème journée patients greffés de l’IPC, le samedi 27 janvier 2018 au Pharo

Je viens vous apporter mon témoignage sur la greffe de moelle osseuse, et plus particulièrement sur cette période qui s’ouvre après les 100. Un sujet important psychologiquement, en ce qu’il est celui de l’avenir, celui du jour nouveau, celui du nouveau départ.

D’une certaine façon, et en simplifiant à l’extrême bien sûr, nos différents parcours autour du cancer se ressemblent, avec :

 

  1. Un diagnostic violent, pour reprendre l’expression d’un philosophe : « un coup de tonnerre dans un ciel bleu » je crois que l’image est assez saisissante, c’est-à-dire que l’on est dans le cours de l’existence et, subitement, il y a ce vacarme incompréhensible, et un arrêt sur image, c’est très violent ;
  2. Il y a notre parcours thérapeutique épuisant physiquement bien sûr, mais également psychologiquement, puis l’espoir, d’abord timide, puis la perspective d’une greffe que nous avons tous espérée en ce qu’elle est une chance de guérison ;
  3. L’obtention de la rémission est un moment fondamental du parcours, violent aussi, mais où semble enfin s’inverser la fatalité ;
  4. La greffe de moelle osseuse elle-même, et son expérience presque irréelle, presque sans mots (cent mots, cent maux) … pour en parler, une épreuve en soi-même sur soi-même, une transformation physique et psychologique, et déjà comme un aboutissement dans la lutte ;
  5. La sortie de l’hôpital, et avec elle, cette période des 100 jours, durant laquelle nous sommes tous sous une surveillance médicale très importante, rassurante, avec de bons médecins, qui ont de la bonté, des psychologues, des infirmiers, tout le personnel en général qui est impliqué, concerné, jamais indifférent…
  6. Et puis enfin le retour à la VIE, comme si le ciel était à nouveau dégagé, à nouveau bleu, comme s’il fallait reprendre le cours de l’existence, mais il n’est pas évident de reprendre sa vie, là où elle a fait une pause…

Personnellement, comment ai-je vécu cette période ?

Je suis né à Ajaccio et en y réfléchissant avec humour bien sûr, j’ai trois points communs avec Napoléon : nous sommes nés dans la même ville, nous avons été baptisés dans la même cathédrale (ça c’est facile il n’y en a qu’une seule…) enfin nous avons connu tous deux les 100 jours… Pour Napoléon, c’est cette période de notre histoire de France (que nous avons apprise à l’école) que l’on a appelé le « Vol de l’Aigle », celle où Napoléon devient en quelque sorte un mythe, celui de l’éternel retour, et le mythe de l’invaincu.

 

Pourtant, au bout du compte, pour lui, après ses 100 jours, il finit en exil à Sainte Hélène, un exil relatif, évidemment, avec sa Cour, ses amis intimes, son médecin, ses distractions, une belle maison, une île pour lui tout seul, mais un exil…

 

Évidemment, mes préoccupations, après le parcours de soins que j’ai très sommairement décrit ne sont pas celles que furent les préoccupations napoléoniennes, bien que moi-même j’étais en guerre d’une certaine façon ; mais ce que je veux vous dire, c’est que mon imaginaire se nourrit de tout et intègre aussi bien notre imaginaire collectif dans les soins (il a pris naissance pour moi pendant les soins en hôpital de jour, et a fini par être intellectualisé, avec ses polarités positives et négatives) que dans l’histoire, et notre imaginaire est comme une sorte d’agent comptable, il stocke tout, et sait tout restituer au moment qu’il juge opportun, en particulier ce qui fut douloureux.

Alors la question est : que s’est-il passé après les 100 jours pour moi, un greffé ?

Cette période est très encadrée médicalement, et dans le même temps il devient nécessaire et possible de s’éloigner progressivement de l’hôpital qui est devenu si rassurant, si apaisant, si providentiel, ce n’est pas facile. Pour tout vous dire à l’époque, quand le Docteur Jean El Cheik m’a dit que je pouvais rentrer chez moi, j’ai refusé… je lui ai demandé si je pouvais rester 100 jours de plus… j’ai conscience aujourd’hui que j’ai vraiment eu beaucoup de mal à me passer de vous tous.

 

Normalement, après le dossard 100, il y a le 101, puis le 102, puis le 103, puis enfin le 109… ce sang neuf, que nous avons tous espéré et obtenu grâce à la greffe… puis à un moment donné nous cessons de compter. Nous avons tous en tête, j’en suis sûr, cette belle paraphrase du Pr Blaise : « nous ajoutons des années à votre vie, il faut ajouter de la vie à vos années »

 

Il a évidemment raison, comme toujours (c’est presque agaçant) mais comment s’y prendre ? Ce n’est pas toujours facile, mais après ce que nous avons traversé les uns les autres, je crois qu’il faut essayer de retrouver un peu d’insouciance, d’accorder à nouveau notre confiance en l’existence, de retrouver une certaine légèreté dans la façon de penser le monde. Quelqu’un a dit : « à penser comme l’on vit, on finit par vivre comme l’on pense » je crois que c’est vrai et qu’il y a donc avantage à développer des pensées positives. Quoiqu’il en soit, chacun a le devoir d’essayer à sa façon. Il est sans doute plus facile de dire ce qu’il vaudrait mieux éviter car, évidemment, même si l’on s’en défend, nous côtoyons tous le même démon, j’ignore son nom mais je connais son pouvoir : il nous pousse à confondre un symptôme avec un diagnostic… dit de cette façon ça semble assez banal, pourtant quel est celui d’entre nous qui dans ces allers-retours entre positif et négatif ne s’est pas dit, et si ça recommençait ?  C’est je crois, ce qu’il faudrait précisément éviter car, le socle de la reconstruction c’est ce regard nouveau sur la pesanteur et sur la légèreté des choses, ce qui fût extrêmement pesant semble avec le temps empreint d’une certaine légèreté. La question de l’éternel retour des choses et la contradiction lourd-léger est une idée fort ancienne, très débattue et jamais tranchée philosophiquement. Il y a cette pensée profonde qui dit à peu près ceci : « si chaque seconde de notre vie doit se répéter un nombre infini de fois nous sommes cloués à l’éternité comme le Christ à la croix. Cette idée est le plus lourd fardeau ». Si donc l’éternel retour est le plus lourd fardeau, nos vies, ici et maintenant, peuvent éclater dans la joie de leur splendide légèreté.

Nous n’éviterons rien, dans cette seconde chance, d’une vie « normale » ni le bon, ni le mauvais, mais singulièrement c’est par un regard apaisé sur nos incroyables parcours que nous pouvons positiver et avancer en étant devenus, en reprenant la formule magnifique de Yolande Arnault, « différemment les mêmes », donc un retour éternel peut-être, mais différent et éternellement léger…

 

Certains trouveront un apaisement, en reprenant leurs activités antérieures là où elles s’étaient arrêtées, d’autres éprouveront le besoin de découvrir autre chose, de s’intéresser à de nouvelles activités créatives, récréatives, associatives, peu importe, l’essentiel est de retrouver un élan, son élan, souvent en faisant régulièrement de petits pas.

 

Pendant des années je me suis souvent demandé au fond ce qu’était le courage, et bien au travers de cette expérience je crois que c’est assez simple en fin de compte : c’est de se dire en avant ! de le faire, d’y croire et de recommencer chaque jour.

 

Personnellement, cela fait bientôt 6 ans que j’ai été diagnostiqué avec un lymphome, bientôt 5 ans que j’ai été greffé. Je n’ai pas pu reprendre mes activités antérieures, je me suis donc tourné vers autre chose, de plus intérieur, je lis, j’écris, je cuisine, je jardine, je m’occupe de ma famille, de mon petit chien, j’apprécie toute cette beauté dans mon île, je ne la voyais plus avant… à ma façon je soutiens la recherche médicale, ça c’est un devoir sacré et peu importe la méthode, le tout est de faire le bien, de donner, car voyez-vous des hommes audacieux ont développé il y a pas mal d’années, une idée un peu folle : celle que le don du « système immunitaire » pensé comme un organe pouvait sauver des vies, ce don devient pour nous le plus beau, le plus incroyable des médicaments, car l’être humain dans ce qu’il a de plus infime à donner (ses cellules souches) sauve l’être humain dans ce qu’il a de plus précieux à garder (sa vie) ; et dans le même temps qu’il soigne, il remplit l’âme de celui qui reçoit comme de celui qui donne, il nous montre clairement en un monde souvent bien déchanté ce qu’est le don : un acte d’amour. Oui, je me senti plus que soigné ici à l’IPC, je me suis senti aimé, en tant qu’être humain, c’est la beauté, la splendeur même, et l’honneur de la profession médicale.

 

Je voudrais remercier l’Hôpital, les Services d’Hématologie 2 : Les Docteurs Diane COSO, Réda BOUABDALLAH, Florence BROUSSAIS, qui m’ont relevé quand j’étais au fond du gouffre, l’Unité de transplantation et de thérapie cellulaire : les Professeurs Didier BLAISE, Christian CHABANON, les Docteurs Angela GRANATA, Jean EL-CHEIK, Samia HARBI, Sabine FURST, ainsi que Laurence CAYMARIS, Yolande ARNAULT, Béatrice MANSUETO, et toutes les incroyables Infirmières et Infirmiers que j’ai croisés, l’Association RESTART d’aide aux patients, la Recherche ; Marie mon épouse, toujours là, Ophelia ma fille, ma fierté qui a, en partie, racheté ma « dette » et qui figure désormais sur le registre des donneurs, et toutes ces personnes qui ont cette magnifique vocation, et mon donneur qu’hélas je ne connaitrai jamais…

Enfin je voudrais adresser un message d’optimisme pour tous ceux qui sont greffés ou qui le seront : ça existe ! ça marche ! il faut continuer, et un jour, il faudra aussi donner car, des milliers de vie sont en jeu. En fin de compte, je n’ai que deux points communs avec Napoléon, car, à l’issue de mes 100 jours je ne suis parti en exil, je suis devenu merveilleusement libre…

Mathieu BACCI

I had a dream

C’était de vivre. Nous sommes au début octobre 1980. L’après-midi, je suis animateur socioculturel et le matin, commis d’abattoir chez un chevillard aixois. Je porte facilement un quartier de bœuf ou trois carcasses de mouton à la fois. Un matin, un peu fatigué, je ne peux en porter plus qu’une et le lendemain, je n’ai plus la force pour monter dans le camion de livraison. Devant mes traits particulièrement tirés, ma sœur et son mari qui dirigent un labo d’analyses se décident à me faire subir une biopsie osseuse et sitôt les résultats connus me font rentrer d’urgence à l’IPC, pour « trois ou quatre jours » dans le service du professeur Gastaud. Ma famille et mon entourage sont prévenus qu’on va tout faire pour me sauver mais qu’il ne me reste peut-être que quelques jours à vivre. Je suis très surpris que dans mon village de Fuveau une collecte de sang soit organisée pour moi et que le ban et l’arrière-ban de mes nombreux amis et connaissances défilent pour venir me voir et me veiller la nuit. Là, je comprends. Seulement voilà, mon fils à 12 ans et pour lui,  je déterre la hache de guerre contre le cancer, cette leucémie à lymphocyte T et autre aplasie médullaire. Les traitements, que je ne détaillerai pas, sont particulièrement pénibles, je sais que 38 ans plus tard c’est bien moins violent mais je vis. Au bout de trois mois, j’ai l’autorisation d’aller passer le soir de Noël en famille, mon frère me prend dans ces bras pour gravir les escaliers et je n’ai pas la force de lever un verre. Dès le lendemain, me voici de retour à l’IPC.

 

Nouvelle permission fin mars 1981 et à partir d’avril les traitements se pratiquent à l’hôpital de jour puis s’espacent peu à peu. Vers septembre, on m’annonce que je suis en rémission et qu’une unité de transplantation médullaire va ouvrir sous la direction du professeur Maraninchi encore aux Amériques pour s’initier à ces techniques très particulières. Je fais sa connaissance un peu plus tard, son allure de marginal et son immense charisme me mettent en confiance, il me convainc que la transplantation médullaire est le seul moyen de m’en sortir. Il prend l’immense risque de m’accorder un dernier vœu. Réunissant la totalité de mes économies, je pars quinze jours à la Réunion sur les traces d’un lointain ancêtre. C’est à mon retour qu’on m’apprend que ma sœur Monique Estève a un ADN compatible avec le mien.

 

La greffe est réalisée le 19 décembre 1981 et j’en sors deux mois plus tard. Au bout de six mois, je reprends un travail bien moins pénible et beaucoup de mes activités associatives, dont bien des témoignages auprès de patients, promotion du don de sang avec Emmanuel Vitria, rencontres et cierge géant à Notre-Dame-de-la-Garde avec l’une des premières greffées Marie Mazars et la vie qui continue à 70 balais bien sonnés.

Jean-François Roubaud, ancien patient de l’IPC