L'AUTONOMIE DE DÉCISION DU PATIENT

Dr Jean-Luc Raoul

Responsable du Département d’Oncologie médicale 1 à l’IPC

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Du concept à la pratique

L’évolution de la médecine suit celle de la société civile. Le médecin, notable de la cité, était dépositaire d’un savoir peu discutable, qu’il dispensait de façon autoritaire (ordonnances).
Progressivement les rapports médecins-malades ont évolué pour rester très longtemps des rapports paternalistes, le médecin utilisant son savoir pour le bien du patient (bienfaisance), lequel patient était en état de faiblesse (dû à la maladie et à son ignorance).

Ce modèle paternaliste, reposait sur la confiance que le patient mettait dans son médecin qui avait le savoir et qui donc prenait les bonnes décisions le concernant avec un accord, souvent symbolique, de celui-ci. Ce contrat moral comportait « pour le praticien, l’engagement sinon, bien évidemment de guérir le malade, du moins de lui donner des soins consciencieux, attentifs, et réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ».

Sur un plan juridique, en France, l’obligation d’information est récente (loi du 4 mars 2002) et assez relative.
Dans le Code de Déontologie médicale de 2016, l’article 35, dédié à l’information du patient, stipule que « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.

Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée… Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent être prévenus, sauf exception… ». Le positionnement du patient au centre du système de soins et l’accès croissant à l’information ou à de l’information, rend les patients plus actifs et la situation évolue progressivement dans notre pays vers un modèle faisant amplement participer le patient aux décisions médicales le concernant.

Nous sommes encore assez loin du modèle qui, depuis plus de 50 ans, s’est imposé aux USA, suite à une décision de justice (« Le droit anglo-américain repose sur la prémisse d’une complète autodétermination.
La conséquence est que chaque homme doit être considéré comme maître de son corps et, s’il est sain d’esprit, peut expressément refuser une thérapie qui sauverait sa vie, ou tout autre traitement médical » – Cours Suprême du Kansas, 1960).

Ce modèle libertaire d’autonomie ou d’autodétermination du patient implique que celui-ci soit entièrement informé par un médecin, qui est son égal, dans une relation contractuelle de prestataire de service, et que le patient est responsable des décisions thérapeutiques qui le concernent.
Le but ici n’est pas la « bienfaisance » mais le respect total de la liberté et de la dignité du patient qui prendra lui-même les décisions le concernant, après information. Rappelons que, théoriquement, aux USA le médecin doit respecter la liberté du patient, ses croyances et ses choix, même s’il les juge irrationnels.

Ce concept d’autonomie de décision du patient repose donc essentiellement sur la notion de vérité partagée, point de départ de la discussion informée, seule à même d’aboutir à une autonomie de décision de la part du patient. Après avoir tenté de préciser ce concept d’autonomie nous aborderons son application en pratique clinique cancérologique, tout d’abord dans le domaine de la « cancérologie préventive » puis du traitement des maladies déclarées avant d’aborder les soins en situation de fin de vie.

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Du concept à la réalité

L’évolution vers une demande de plus en plus forte des patients pour une meilleure information et une plus grande implication dans les choix thérapeutiques les concernant, donc vers plus d’autonomie est une évidence légitime. Cependant la définition même du terme « autonomie » en médecine est imprécise et discutée.

Le principe d’autonomie a été développé pour Miller sous 4 axes. Tout d’abord l’autonomie comme action libre : capacité d’autodétermination du patient sans contrainte ni coercition. L’autonomie comme authenticité signifie que l’action est conforme aux valeurs de vie, au projet de vie du patient. L’autonomie comme délibération pratique s’exprime lorsque le patient a examiné toutes les options relatives à sa situation et en a déduit une proposition rationnelle de traitement.

Enfin l’autonomie comme réflexion morale signifie que le patient peut dire sur quelles valeurs il fonde sa décision et l’acceptation de celle-ci. Pour cet auteur le devoir de respect de l’autonomie est différent du devoir de respect de la volonté, des désirs du patient et implique toujours une analyse approfondie et critique de la demande et de la volonté du patient. En effet, le sentiment de dépendance, la souffrance et l’atteinte à l’image de son corps peuvent altérer son autonomie et un des buts du soin est de restaurer l’autonomie blessée du patient pour lui permettre de redonner un sens à son existence7.
Pour le corps soignant, le respect de l’autonomie s’impose en tête des quatre principes de la bioéthique : autonomie du patient, bienfaisance, non-malfaisance et justice.

Il est évident que ces 4 principes sont plus ou moins prioritaires selon le modèle de société, lequel peut opposer notamment autonomie et justice ou bienfaisance. Rappelons une spécificité américaine imposant de facto un rôle fondamental dans la décision au patient, qui est celle des coûts de traitements qui impactent directement le patient aux USA alors qu’ils sont, en Europe, usuellement pris en charge par la société… Peut-on alors parler réellement d’autonomie de décision selon la définition précédente?

Quoi qu’il en soit, cette demande de plus d’autonomie (« se donner sa propre loi »), de possibilité d’autodétermination, d’avoir la liberté de décider de ce qui est bon pour soi, reste dépendante d’une information claire, complète et précise qui, en cancérologie, doit notamment permettre au patient de mettre en balance les avantages (gain en taux de guérison, en durée de vie, en qualité de vie) et les inconvénients (mutilations, complications, toxicités visibles et invisibles, …) des traitements.

Ce respect de l’autonomie ou de l’autodétermination du patient est souvent présenté comme une révélation assez explicite, parfois brutale du diagnostic, du pronostic et des diverses options thérapeutiques, le patient étant alors invité, éventuellement avec l’aide de sa famille, à choisir par lui-même son traitement. Ce type d’annonce fait courir le risque d’abandon ou de sensation d’abandon et peut donner au patient l’impression, pas toujours fausse, qu’il a non seulement la décision mais aussi la responsabilité de la décision en main. En réalité cette annonce est et doit être lente, patiente et idéalement répétée. L’information présentée au patient doit être vraie ou tout au moins la plus vraie possible.

En médecine et particulièrement en cancérologie la vérité est statistique (avec cette option vous avez X % de chances de guérir et Y % de risques de complications) et les statistiques ne sont pas la vérité, et les progrès de la médecine personnalisée n’ont pas beaucoup changé les choses. Présenter de façon honnête des données statistiques notamment lorsqu’elles parlent de vie et de mort est très complexe.
Cette description des avantages et inconvénients de chaque option peut difficilement être exhaustive sinon la vérité (statistique) va être noyée dans la masse des informations mais doit insister sur les risques soit les plus fréquents, soit les plus sévères, soit les plus problématiques, soit les plus craints par les patients ou par le patient. Le respect de l’autonomie doit toujours, pour le médecin passer par la certitude que l’information transmise a été comprise et que les conséquences d’un consentement ou d’un refus ont été assimilées.

Un des problèmes est que souvent le patient arrive avec sa vérité… venant de son passé ou de ses lectures récentes. L’arrivée d’internet et donc la possibilité de toujours trouver la réponse que l’on veut à la question que l’on se pose, a beaucoup changé la donne. Si sur Internet le pire côtoie le meilleur, la cancérologie sur internet c’est pire encore. Vous trouvez, à côté des meilleurs référentiels de traitement,  des résultats d’études de biologie fondamentale, des projets, des thérapeutiques alternatives voire très alternatives, des mages non reconnus par le lobby pharmaceutico-médical malgré leurs milliers de guérisons … parfois grâce à des techniques récentes, dernier cri de la biologie moléculaire.

Nos chiffres et incertitudes, nos probabilités prudentes même à l’ère de la « médecine de précision », ont parfois peine à faire face à ces diatribes enflammées… Cela amène parfois à de belles discussions, mais parfois aussi à des situations inextricables et ceci indépendamment du niveau socio-culturel du patient; Un génie de l’informatique n’a-t-il pas refusé un traitement chirurgical à visée curative préférant essayer de devenir maître de sa maladie avec l’aide de médecines naturelles … pour décéder quelques années plus tard, de l’évolution totalement naturelle de sa maladie…

Enfin, l’actualité récente nous a bien montré que nous rentrons dans l’ère de la « post-vérité » tout pouvant exister et ce presque sur le même plan. Ainsi, il devient de plus en plus fréquent que l’autonomie du patient basée sur ce type d’informations soit en conflit avec celle du médecin, avec un risque de tension.

Le partage de la vérité a toujours un coût et tout patient ne peut pas toujours tout entendre ; il faut « tenir compte de la personnalité du patient ». L’information doit pouvoir être modulée en fonction de ce que l’on sait du patient, ou de ce que l’on suppose et de la façon dont se déroule l’annonce. Une sidération lors de l’annonce, qui n’est pas rare, ne permet bien entendu pas de poursuivre et va amener ensuite lors d’une seconde consultation à une prudence certaine de façon à respecter le rythme du patient, sa maladie le permet…

Une information très complète risque d’induire un effet nocebo, bien illustré dans les études contre placebo ! Plusieurs études ont montré que, dans les bras placebo d’études concernant une même pathologie mais utilisant des drogues de différents profils de toxicité, les causes d’arrêt du traitement pour toxicité dans les bras placebo étaient différentes et parallèles aux risques décrits. L’information décrivant les effets secondaires possibles risque donc de précipiter la survenue de ces effets secondaires !

Dans une étude thérapeutique de l’angine de poitrine, des effets secondaires digestifs étaient décrits dans les formulaires de consentement éclairé de deux centres et pas dans le troisième ; lors de l’analyse ils étaient 6 fois plus importants dans les centres les ayant décrits que dans celui les ayant omis et ce dans le bras traité comme dans le bras placebO.

Ces réponses nocebo peuvent résulter d’une présentation involontairement négative de la part du médecin. Il est donc préconisé d’effectuer une présentation « positive » de ces effets secondaires, voire même, toujours dans le respect de l’autonomie du patient, de lui demander éventuellement la possibilité de non information totale ou partielle