IMPACTS ÉCONOMIQUES ET ORGANISATIONNELS

Présentation Anne-Gaëlle Le Coroller, chargée de recherche SESSTIM

L’activité de cancérologie représentait en 2014 près d’un quart de l’activité hospitalière globale en court séjour : 48,7 % des séances, 10 % des hospitalisations ambulatoires et 13,4 % des hospitalisations complètes. Face à ce fardeau financier, le développement d’un traitement ambulatoire du cancer apparaît prometteur à bien des égards.

Le Plan cancer 2014-2019 a affiché le développement de la chirurgie ambulatoire comme une ambition forte avec trois mesures : la définition des actes en chirurgie du cancer pouvant être réalisés en ambulatoire, la mise en place d’indicateurs de qualité et de sécurité des soins et la programmation en 2015 d’un appel à projet dédié pour accompagner les équipes à la conduite du changement.

Juin 2016

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Les traitements

Les traitements ambulatoires du cancer

Le traitement du cancer repose sur trois types de thérapies, combinées ou non : la chirurgie, la radiothérapie et l’administration de médicaments anticancéreux (chimiothérapie, thérapies ciblées, immunothérapies….
Dans chacune de ces thérapeutiques on assiste au développement d’une prise en charge ambulatoire.

En 2014, 25,8 % de la chirurgie pour cancer est réalisée en ambulatoire (contre 16.7 % en 2010). Cette progression nette (de 45,5 %) ne permet cependant pas à la France de rattraper le retard dans le taux de chirurgie ambulatoire. Toutes pathologies confondues, le taux de chirurgie ambulatoire en France était de 40 % en 2012 alors qu’il était de 70 % dans les pays d’Europe du nord, de 75 % en Grande-Bretagne et de 83 % aux USA.
Le rapport de la Cour des comptes sur l’application de la loi de financement de la Sécurité sociale écrit que « Le retard considérable et persistant de la chirurgie ambulatoire dans notre pays (…), apparaît emblématique à cet égard des lenteurs de modernisation des pratiques hospitalières. Pourtant, son développement rejoint l’intérêt des patients, qui n’ont pas à séjourner à l’hôpital avant comme après l’opération, comme celui de l’Assurance maladie par les économies majeures qu’elle permet ».

Les progrès des techniques d’irradiation, modulation d’intensité, guidage par l’image et stéréotaxie, ont permis le développement de l’hypofractionnement dont le principe est de délivrer une dose par séance plus élevée et de réduire la durée de traitement.
La radiothérapie hypofractionnée est présentée comme une solution pour améliorer l’accès aux soins (moins de temps de traitement par patient, plus de patients traités par machine) tout en augmentant la qualité de soin : meilleur contrôle carcinologique, moins de radiotoxicité. Aux Etats-Unis, 34,5% des femmes de plus 50 ans atteintes d’un cancer du sein non avancé ont été traitées par radiothérapie hypofractionnée en 2013 contre 10.8 % en 2008, et chez les patientes plus jeunes et atteintes d’une maladie moins avancée ce chiffre était de 21.1 % en 2013 contre 8.1 % en 2008.

L’étude « UNICANCER : Quelle prise en charge des cancers en 2020 ? » estime que, dans les années à venir, la réduction du nombre de séances en radiothérapie concernera 50 % des traitements des cancers du poumon (passage de 30 à 5 séances en moyenne), 45 % des traitements du cancer du sein (passage de 30 à 20 séances en moyenne), ainsi que 35 % des cancers de la prostate (passage de 38 à 10 séances en moyenne).

La radiothérapie per-opératoire consiste à irradier le site de la tumeur à la suite de son ablation, lors de l’intervention chirurgicale. Cette méthode plus rapide et moins toxique permet de remplacer les séances de radiothérapie pratiquées après la chirurgie. Son recours a permis de développer le « traitement en un jour » de certains cancers du sein, dont les premiers résultats montrent une bonne faisabilité avec absence de majoration de la morbidité post-opératoire et une satisfaction élevée des patientes.

En 2013, 89.8% des chimiothérapies ont été administrées en hôpital de jour. De plus, Le nombre de patients recevant un anticancéreux administré par voie orale a augmenté de façon importante ces dernières années avec l’avènement des thérapies ciblées.
Soixante-treize médicaments anticancéreux par voie orale sont disponibles fin 2014, dont la majorité appartient à la classe des thérapies ciblées. Ces thérapies ciblées se distinguent des chimiothérapies conventionnelles par une prise au long cours jusqu’à progression de la maladie ou intolérance, ce qui soulève de nouvelles questions quant à leur administration et au suivi de leurs effets secondaires. Elles nécessitent en particulier des consultations plus longues afin d’améliorer l’observance et d’expliquer les éventuels effets indésirables. Enfin, du fait de leur administration au long cours, on assiste à une augmentation importante en volume du nombre de patients sous traitement.

Enfin, le suivi des patients après leur traitement voit également se développer des prises en charges entièrement réalisées en ville, par le médecin généraliste, un suivi téléphonique par une infirmière coordinatrice et un recours au médecin oncologue « à la demande ». Les premiers résultats de ce type d’expérimentation dans le suivi des patients atteints de lymphomes traités avec une chimiothérapie à base d’anthracyclines sont prometteurs et devraient se développer dans les années à venir

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Organisation des soins

Nouveaux modes d’organisation des soins

La prise en charge ambulatoire des traitements contre le cancer modifie profondément l’organisation de l’hôpital. Plusieurs modes d’organisation sont à réinventer en s’appuyant sur de nouvelles compétences au sein de l’hôpital. On peut en lister certains :

  • Le concept du « chemin clinique » est un outil particulièrement adapté à la prise en charge ambulatoire. Dans ce modèle d’organisation, le patient est au centre de l’organisation et l’on suit son parcours en déterminant les étapes successives et leurs intervenants. Toutes les étapes avec leur intervenant doivent être listées. Ce modèle permet d’assurer la coordination des intervenants qui est au centre de la prise en charge ambulatoire.
  • Des locaux spécifiquement dédiés à la prise en charge ambulatoire (hôpital de jour médical, hôpital de jour chirurgical). 95 % des centres ambulatoires sont intégrés en France alors qu’ils sont minoritaires dans tous les pays qui ont vu un développement rapide et important de la CA (17 % aux USA).
  • Une organisation architecturale avec une « marche en avant » qui permet d’optimiser la prise en charge des patients. Dans cette organisation architecturale le patient suit un parcours où il ne revient jamais sur ses pas pour améliorer la gestion en flux.
  • Le développement des « hospitel » pour permettre à des patients habitant trop loin de l’hôpital ou ne disposant pas d’accompagnant de passer une nuit à l’hôtel à côté (voire dans) l’hôpital. Le Parlement a voté en décembre 2014 l’expérimentation des hôtels hospitaliers pendant trois ans dans le cadre de la loi de finance de la Sécurité sociale 2015. Le décret d’application de cette mesure doit être publié prochainement. Il doit notamment déterminer le niveau de prise en charge des nuitées en hôtels hospitaliers par la sécurité sociale.
  • Le développement de l’éducation thérapeutique pour le patient et pour son accompagnant.
  • L’émergence de nouveaux métiers à l’hôpital. « La chirurgie ambulatoire est un concept organisationnel fondé sur la gestion des flux. Son optimisation impose de nouvelles compétences dans ce domaine (exemple : brancardier régulateur, infirmière programmatrice) pouvant aller jusqu’à de nouveaux métiers (exemple : directeur de la régulation de l’activité médicale) ».
  • La mise en place de nouveaux outils d’information. Fiches livrets, DVD et demain applications mobiles.
  • Un renforcement de la coopération ville-hôpital.
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La tarification

Le rôle-clé de la tarification

La tarification joue un rôle majeur dans les incitations ou contre incitations aux établissements hospitaliers à promouvoir le développement des prises en charges ambulatoires.
L’évolution de la tarification de la chirurgie ambulatoire illustre cette volonté.

A partir de 2003, le mode de financement devient incitatif. La généralisation de la tarification à l’activité (T2A) accroît alors l’intérêt des établissements hospitaliers pour la chirurgie ambulatoire. Celle-ci est alors perçue par ces derniers comme un vecteur de recettes supplémentaires puisqu’elle permet de prendre en charge davantage de patients qu’un lit conventionnel.

À cette perspective d’accroissement des recettes par les volumes, s’ajoute dès 2004 une incitation par les tarifs. Sont désormais rémunérés selon un tarif identique, des gestes sans hospitalisation et des gestes avec une nuitée, de façon à favoriser un transfert vers les pratiques ambulatoires. Ce mécanisme a été par la suite progressivement étendu à de nouveaux groupes homogènes de malade (GHM). En 2013, 47 couples de GHM sont ainsi concernés.

Jusqu’au 1er mars 2014, les tarifs de remboursement pour une «mastectomie subtotale pour tumeur maligne de niveau 1 » étaient de 1 362.91 euros pour 0 nuit, de 2 038.36 euros pour une nuit, de 2 713.81 euros pour deux nuits et plus. Le rapport coût de productivité/remboursement semblait pour beaucoup de directions financières en faveur de deux nuits…

Depuis le 1er mars 2014, la suppression des bornes basses pour ce type de geste amène à un tarif unique (2 353.70 euros) qu’il y ait 0, 1 ou deux nuits et plus. Il est probable que cela sera déterminant pour que les établissements encouragent le développement de l’ambulatoire dans leurs structures.

Dans le cas de la radiothérapie hypofractionnée, la tarification par séances de la radiothérapie pénalise financièrement le recours à cette innovation qui engendre un moins grand nombre de séances mais chacune de ces séances nécessitant une préparation plus longue. L’hôpital est donc moins remboursé pour la réalisation de la radiothérapie hypofractionnée, alors même que chaque séance lui coûte plus cher en étant plus longue et plus mobilisatrice de ressources…. Une évolution vers la forfaitisation pourrait lever ce frein.

La radiothérapie per-opératoire n’est pas encore codifiée dans la liste des actes CPAM, ce qui constitue un frein limitant à son développement.

Une étude montre que le recours aux chimiothérapies orales prive l’hôpital de sources potentielles de revenu en raison du transfert sur d’autres acteurs. Ce transfert pourrait influencer la prescription des chimiothérapies en créant une incitation indirecte à conserver une activité rémunératrice, l’administration en hôpital de jour des chimiothérapies intraveineuses.

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Diminution des coûts ou transfert de charges ?

Il existe peu de données sur le coût de la prise en charge ambulatoire des cancers. En revanche de nombreuses questions se posent sur ce coût qui doit être analysé en fonction du point de vue selon lequel on se place. On peut ainsi décliner les coûts de la prise en charge ambulatoire du cancer en coûts pour les établissements hospitaliers, pour l’Assurance maladie, pour le malade et pour la collectivité.

Du point de vue de l’hôpital, ce sont les ressources mobilisées par l’établissement pour la prise en charge d’un patient qui sont à prendre en compte.
Il est possible d’approcher ce coût grâce à l’Etude nationale des coûts (ENC). Elle permet de mesurer le coût complet d’une prise en charge ainsi que les principaux postes qui composent ce coût : soins réalisés au lit du malade, actes techniques (blocs opératoires, imagerie, échographie,…), médicaments, fonctionnement transversal de l’hôpital…
Cependant, les charges immobilières et financières ne sont pas incluses dans ce coût. Selon l’ENC, les « mastectomies subtotales pour tumeur maligne » ont un coût moyen de 2 384 € en ambulatoire et 3467 € en hospitalisation complète en 2012 dans le secteur public. Le coût de cette activité est de 1 123 € en ambulatoire et 2181 € en hospitalisation complète en 2012 dans le secteur privé. On constate bien que la prise en charge ambulatoire permet de diminuer les ressources directement nécessaires à la prise en charge des patientes du point de vue de l’hôpital dans le cas de la chirurgie pour cancer du sein.

Une étude française a montré que l’administration de chimiothérapie en ambulatoire monitorée et suivie à domicile par téléphone de patients atteints de tumeurs solides (gastro-entérologiques et thoraciques) avait un coût de 3858 € (sans toxicité) contre 8431 € (sans toxicité) lors d’une prise en charge conventionnelle à l’hôpital.
En cas de toxicité nécessitant une hospitalisation, le groupe de patients initialement pris en charge en ambulatoire présentait un coût moyen de 7989 € contre 17572 € pour ceux initialement pris en charge en hospitalisation complète. Là aussi, on constate une diminution des coûts directs de mise en place du traitement du point de vue de l’hôpital.
Rappelons que pour que l’hôpital soit incité à développer cette prise en charge, il faut que l’écart entre ces coûts de mise en place et le remboursement de l’Assurance maladie soit au moins aussi avantageux dans le groupe ambulatoire que dans le groupe hospitalisation complète.

L’Assurance maladie a « tout intérêt » à favoriser le développement de la prise en charge ambulatoire. En effet, les tarifs de remboursement en France sont basés (en partie) sur l’observation des coûts de production des établissements hospitaliers via l’échelle nationale des coûts. Ils sont donc réévalués périodiquement.
La diminution des coûts de production des établissements se traduira in fine par une diminution des tarifs de remboursement de l’Assurance maladie, et donc de ses charges. Une analyse complète mériterait néanmoins de prendre en compte les ressources mobilisées en ville (médecin généraliste, infirmière etc) en lien avec la prise en charge ambulatoire, ce qui pourrait tempérer l’avantage financier de la prise en charge ambulatoire.

C’est pour cette raison que la question de la tarification est aussi importante dans le développement de la radiothérapie hypofractionnée. Seule une étude américaine a mesuré ces coûts directs et elle constate que le recours à la radiothérapie hypofractionnée réduit les coûts totaux des soins par les assurances médicales de 10 % la première année après le diagnostic.
En France, étant donné le système de tarification actuelle, cet écart, même s’il était transposable dans notre pays serait écrasé par la diminution du remboursement de l’Assurance maladie, basé sur le nombre de séances, nombre qui diminue fortement dans la radiothérapie hypofractionnée. Dans l’étude américaine les auteurs ont également fait le constat que les dépenses restant à la charge du patient n’étaient pas différentes dans le recours à la radiothérapie hypofractionnée en comparaison avec la radiothérapie conventionnelle.

Du point de vue de la collectivité, l’avantage économique des prises en charge ambulatoires du cancer reste à démontrer, et n’a fait pour l’instant l’objet d’aucun travaux.
C’est pourtant dans cette optique que la notion de transfert de charges est d’une importance majeure. Certaines prises en charge ambulatoires nécessitent la présence d’un accompagnant à son domicile.
Cette mobilisation de l’accompagnant induit le coût de son temps (plusieurs modèles économiques permettent de l’approcher) qui n’est pas pris en compte. D’autant plus qu’aucun système de compensation financière n’existe pour les accompagnants.
Ainsi, on peut légitimement se demander si la prise en charge ambulatoire ne consiste pas à transférer des coûts auparavant pris en charge par l’hôpital sur d’autres acteurs : proches, médecine de ville. Seule une évaluation économique menée du point de vue de la collectivité et incluant l’ensemble des ressources nécessaires à la mise en place des traitements ambulatoires (ressources médicales mais aussi temps de l’accompagnant, transport, hébergement, etc) permettrait de répondre à la question de son avantage économique pour la collectivité, avantage éventuel qu’il faudrait rapporter à son efficacité en y incluant la qualité de vie des patients.

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Les patients

Qu’en pensent les patients ?

Une enquête s’est récemment penchée sur la satisfaction des patients vis-à-vis de la chirurgie ambulatoire. Elle montre que les patients qui répondent aux questionnaires sont majoritairement très satisfaits de la prise en charge ambulatoire.

Une autre recherche a décrit que la diminution du temps passé à l’hôpital et la dédramatisation de l’acte et non de la maladie sont les principales motivations du choix de la chirurgie ambulatoire. Les résultats montrent aussi qu’elle nécessite une préparation en amont (information suffisante, anticipation du retour au domicile et des moyens d’accompagnement) et en aval (gestion de la douleur, suivi médical à domicile), afin d’éviter toute banalisation de la chirurgie ambulatoire dont le risque serait de ne pas être à l’écoute du retentissement psychologique de la maladie.

Le délai d’attente est un argument clé dans la satisfaction des patients traités en ambulatoire.

Dans l’enquête TemporELLES (3812 patientes traitées pour un cancer du sein avec une chimiothérapie intraveineuse dans 105 services d’hospitalisation de jour répartis sur l’ensemble du territoire français) les patientes passaient en moyenne 3 heures en HDJ lors de chaque séance de chimiothérapie dont 50 minutes à attendre. 40% des patientes souhaitaient une réduction de ce temps d’attente.

Une autre étude consacrée à 441 patients recevant une chimiothérapie en hôpital de jour montrait une satisfaction élevée des patients malgré une durée de 97 minutes entre la convocation et l’administration de la chimiothérapie.

Ces enquêtes restent cependant centrées sur la prise en charge ambulatoire, et on peut regretter l’absence d’études comparant une prise en charge conventionnelle et une prise en charge ambulatoire sur la satisfaction et le ressenti des patients.

Enfin, nul doute que le ressenti des accompagnants qui jouent souvent un rôle-clé dans la prise en charge ambulatoire permettrait d’éclairer les politiques de prise en charge.

La question de la prise en charge ambulatoire des patients atteints de cancer nécessite de repenser le chemin de soins des patients avec de nouveaux modes de prise en charge centrés autour du patient et non plus de l’hôpital.

L’étude française OPTISOINS01 menée en Ile de France vise à documenter le coût, la satisfaction, la qualité de vie, le retour au travail et l’accès à l’innovation des patientes atteintes de cancer du sein de bon pronostic. Elle apportera certainement des informations très utiles à la fois pour les professionnels de santé et les preneurs de décision dans notre système de soins.