DES INNOVATIONS COÛTEUSES ?

Innovation et croissance des dépenses de santé

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Augmentation des dépenses

Le progrès médical en cancérologie, a dans la plupart des cas un impact inflationniste parce qu’il suit une loi des rendements décroissants, c’est-à-dire que pour une maladie donnée, les innovations thérapeutiques induisent des gains en espérance de vie de plus en plus faibles, alors même que les coûts pour y parvenir sont en augmentation.

Le cas des tests diagnostiques et thérapies ciblées en cancérologie

En cancérologie, les innovations thérapeutiques coûteuses appartiennent pour la plupart au domaine du médicament, et on a vu arriver de manière massive ces 10 dernières années des molécules très coûteuses : les thérapies moléculaires ciblées.
Le plus souvent, ces thérapies sont associées à un test de diagnostic moléculaire (dit test compagnon), et la prescription d’un médicament pour un patient donné est alors conditionnée par le résultat de ce test.
L’accès à ces tests se déploie dans 28 plateformes hospitalières de génétique moléculaire mises en place par l’Institut National du Cancer. En 2013, 89 000 tests ont été réalisés pour 65 000 personnes dans le cadre de l’accès aux thérapies.
Ces nouveaux traitements s’inscrivent dans le développement de la médecine personnalisée, induisant un véritable changement de paradigme dans la manière dont on appréhende la maladie cancéreuse, et donc la manière dont on la traite.

Ce changement a contraint l’industrie pharmaceutique à modifier son modèle de développement du médicament. Aujourd’hui, l’essentiel des médicaments anti-cancéreux en cours de développement est représenté par des traitements ciblés.
On est ainsi passé du modèle blockbuster (une molécule pour un très grand nombre de patients, dans différentes indications) vers un modèle proche du médicament orphelin avec des traitements ultraciblés ne s’adressant qu’à quelques milliers de patients – mais qui, vu leur prix, peuvent générer un chiffre d’affaires considérable.
A priori, cette nouvelle approche thérapeutique qui couple le médicament à un biomarqueur compagnon présente une rationalité économique puisqu’elle vise à améliorer la prise en charge des patients tout en réduisant les coûts : en évitant la prescription de médicaments inutiles, car inefficaces, potentiellement toxiques et coûteux ; en augmentant la réponse aux traitements grâce à la prescription d’un traitement mieux adapté aux caractéristiques de la tumeur.

Cette rationalité économique ne prévaut que si au moins deux conditions sont réunies :
1. le coût du test pour caractériser les tumeurs n’est pas trop élevé (car réalisé chez tous les patients) en comparaison du médicament qu’il cible,
2. Le prix du médicament ciblé n’est pas prohibitif.

Or actuellement, ces 2 conditions sont loin d’être réunies, au moins pour un certain nombre de ces innovations puisque même en « restreignant » la prescription chez les patients pour lesquels a priori le traitement est efficace, et même avec un coût du test compagnon relativement faible, les ratios coût-efficacité vont bien au-delà des seuils considérés comme « acceptables ».

Les montants atteints par les prix de ces nouveaux traitements questionnent à la fois cette rationalité économique, mais également la pérennité du système.

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En chiffres

Les dépenses d’anticancéreux : quelques chiffres

Une étude britannique a récemment chiffré, dans Lancet Oncology le « fardeau économique » du cancer en Europe.

Pour la France, les auteurs évaluent le coût du cancer à 17 Milliards d’euros, soit un peu moins de 1 % de sa richesse nationale. Les évaluations nationales estiment le seul coût de la prise en charge à 5,1 Milliards d’euros. Les médicaments représentent une part importante du coût des traitements à l’hôpital, et les dépenses en médicaments anticancéreux de la liste en sus s’élèvent à près de 1,475 Milliards d’euros. La croissance des dépenses en médicaments anticancéreux à l’hôpital demeure forte (+6.6 % entre 2012 et 2013) ce qui s’explique par deux phénomènes concomitants.

Tout d’abord un usage croissant des « anciennes » molécules (utilisées chez plus de malades, dans de nouvelles indications, pour des durées prolongées), qui conduit à un accroissement global des dépenses médicamenteuses dans le temps. Mais surtout, on observe une très forte progression de l’usage des thérapies ciblées qui se traduit par une augmentation de plus de 200 % des dépenses de thérapies ciblées entre 2004 et 2007, ces médicaments représentant en 2009 plus de la moitié des dépenses.

Aujourd’hui, les thérapies ciblées à l’hôpital représentent près de 71 % des dépenses en médicaments anticancéreux pour le secteur public, et 82 % pour le secteur privé commercial. Dans le secteur des médicaments délivrés en officine ou rétrocédés par l’hôpital, le chiffre d’affaires des médicaments anti cancéreux en 2014 a été de 2 Milliards d’euros sur un total de 20 Milliards de dépenses de médicaments remboursables, un chiffre en croissance de +9 %, et un témoin marquant de l’usage croissant des thérapies ciblées de façon chronique en ambulatoire ; deux anti-cancéreux – Glivec, Zytiga – figurent à la 8ème et 9ème place en terme de chiffre d’affaires réalisé parmi tous les médicaments remboursés en 2014 en pratique « de ville ».

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La toxicité financière

La toxicité financière : un débat mondial

Les dernières estimations publiées par IMS Health en 2015 évaluent les dépenses mondiales consacrées aux traitements du cancer à 100 Milliards de dollars en 2014 (90 Milliards d’euros), soit une hausse de 10,3 % par rapport à l’année précédente. Dans ce même rapport, les projections prévoient qu’elles atteindront 117 à 147 Milliards de dollars en 2018, soit une croissance annuelle cumulée estimée entre 6 % et 8 %. Cette tendance confirme l’une des premières études publiées en 2009 et posant la question de la soutenabilité financière.

Cette étude estimait que le système de santé américain devrait dépenser 440 Milliards de dollars supplémentaires par an afin de prolonger de 12 mois la vie des 550 000 Américains qui meurent d’un cancer chaque année. Ce débat sur le coût des médicaments s’est principalement développé aux Etats-Unis où le monde des cancérologues dénonce régulièrement l’évolution inflationniste du prix des médicaments. Notamment, dans un article publié dans une grande revue internationale d’hématologie [16], ils soulignent le fait que sur les douze traitements contre le cancer, approuvés en 2012 par l’agence américaine des médicaments (FDA), onze coûtaient plus de 100 000 dollars par an.

Le prix moyen des nouveaux médicaments anticancéreux a ainsi presque doublé en une décennie, passant de 5 000$ par mois en moyenne, à pratiquement 10 000$. Le coût moyen des thérapies ciblées, lui, se situe autour de 50 000 euros par an et par patient, soit 5 à 10 fois plus que les chimiothérapies classiques. En France, la prise en charge des traitements du cancer est couverte par la solidarité nationale mais aux USA où un reste à charge existe, de tels prix entraînent inévitablement des situations plus fréquentes de renoncement aux soins et de faillite personnelle, ce qui suscite des inquiétudes en termes d’égalité d’accès aux soins.